Trois usages du « courant de conscience »  avant William James: Lewes, Hodgson, Peirce

Cette conférence, donnée le 6 décembre 2012, dans le séminaire de Charles Niveleau et Michel Bitbol aux Archives Husserl, s’inscrit dans un travail que je mène sur le chapitre IX des Principles, portant sur le « Courant de conscience » et complète les aperçus développés dans le chapitre portant sur James et Bergson dans l’ouvrage de S. Madelrieux (Dir), Bergson et James, cent ans après, Paris, Puf, 2011.

Introduction

 

 

Flows from the mind a stream of thought,

Ah whither is it flowing, 

By space like vapour is it caught, 

An endless journey going ?

Who can trace back the earliest wave,
From which that stream was springing ? 

Or say what force its impulse gave,
Truth from its fountain bringing. 

That stream of thought no barriers stay,

Wave unto wave succeeding,
Through every moment of the day, 

Unintermittent, speeding.

 November 11, 1859.

Anonyme, Poems,  Hatchard, Londres, 1861.

 

 

Le chapitre sur le « Courant de pensée » des Principles of Psychology de William James — devenu « Courant de conscience » dans le Précis — compte pour beaucoup dans la postérité de l’ouvrage et de la psychologie de James en général, en particulier dans le mouvement phénoménologique. Dans le premier registre, en psychologie cognitive, on trouve sous la plume de Gerald Edelman des références élogieuses à ces idées de James; dans le second registre, le chapitre sur le courant de conscience est, avec le chapitre sur la «Perception de la réalité», qui développe une théorie perspectiviste commentée par Schütz notamment, l’un des plus cités.

Il reste que, si l’usage technique que James fait de cette notion, pour critiquer à la fois la psychologie de l’introspection et les erreurs de l’empirisme classique, est sans aucun doute nouveau, la notion, elle, ne l’est pas, contrairement à ce que l’on croit souvent. J’ai tenté, dans un chapitre portant sur James et Bergson, de défendre l’idée que la thématique du courant de conscience chez James avait certes une valeur descriptive, mais aussi, et peut-être surtout, une valeur critique: elle permet une critique de fond de l’empirisme sensationnaliste. Il reste à établir une phase plus historique de l’argumentation, qui consiste à montrer qu’il y a, à l’époque où James publie son article de 1884 sur les « Omissions systématiques de la psychologie d’introspection », déjà plusieurs usages bien établis du concept. Les dessiner devrait permettre, en retour, de mieux déterminer ce qui appartient à James en propre, et ce qui relève du débat philosophique et psychologique qui lui était contemporain. 

L’expression de stream of thought, qui donne son titre au chapitre IX des Principles, n’est nullement une invention de James, ce que l’on peut relever sans retrancher à son originalité. On la trouve chez de nombreux auteurs, en particulier chez le Thomas Reid des Intellectual Powers, même s’il s’agit dans l’extrait suivant avant tout d’un flux des objets de la conscience : 

« The objects of consciousness are never at rest  ; the stream of thought flows like a river, without stopping a moment ; the whole train of thought passes in succession under the eye of consciousness, which is always employed about the present. »

Quant au stream of consciousness, qui figurera dans le Précis de psychologie, c’est une formule que l’on trouve non seulement chez Bain et Lewes, mais aussi chez l’ami et correspondant de James, Shadworth Hodgson qui, dans son Time and Space de 1865, a alors bien le sentiment d’employer un néologisme. Lorsque Royce approfondit ses réflexions sur le « présent », dès 1879, il met bien au centre le « stream », dans un contexte qui évoque à la fois Kant et Hodgson, Royce consigne ces pensées dans son Journal, à la date du 30 août 1880, et il vaut la peine de citer le passage pour marquer à quel point cette expression est attestée avant l’article de James  :

Kant puts the case thus  : There is the stream of Vorstellungen. This stream he seems tacitly to admit as phenomenally real, even though it were no subject of thought, even though he does not lay stress upon it as an ultimate datum. (Shadworth Hodgson does). Yet he seems to imply its assumption. In itself, to be sure, the stream is no steam [sic.] ; only the form of our Anschauung makes it seem a stream. But whatever it is itself, the stream is real (Cf. Kr. D. R. V., 2e. ed., 53-54). Now this stream as real is known first in the Anschauung for which it appears as a stream, and secondly in thought, through the unity of apperception. The second condition need not always be realized, but must always be capable of being realized. (Das Ich Denke muss alle meine Vorstellungen begleiten können.) Otherwise the stream as it is in itself, or as it is simply intuited in the form of time, would not be my Vorstellungen at all. As thought or known, however, through the second edition, the stream becomes the basis of all knowledge.”

 

L’exposé s’attachera par conséquent à explorer trois autres variantes du courant de pensée ou de conscience, antérieures au chapitre de James et bien connues de lui: une variante «physiologique» chez George Henry Lewes, une variante «philosophique» chez Shadworth Hodgson, une variante sémiotique et logique chez Charles Sanders Peirce; je détaillerai les deux premières, un peu moins la troisième. De la sorte, la notion, qui est un outil philosophique,  sera mise en regard des problèmes qu’elle permet de résoudre: problème de la distribution de la conscience, problème de la méthode utilisée en philosophie de la connaissance, problème de l’irruption du nouveau dans la continuité de la vie de l’esprit.

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