Intelligent Review

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Il y a quelques mois, une nouvelle revue consacrée aux sciences faisait son apparition, dans une version exclusivement en ligne: Inference, International Review of Science. La mise en page et l’édition sont de qualité, ainsi que certains articles publiés sur le site.

Edit 17/9/2016: depuis que cette note a été publiée, la page « About » de la revue a été mise à jour, confirmant l’intuition développée ci-dessous

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Ce qu’ont en revanche remarqué tous les lecteurs des premiers numéros est la présence de membres du Discovery Institute, poursuivant ici la critique du « darwinisme » propre aux tenants du Dessein Intelligent (Intelligent Design). Le point le plus visible en était la livraison en trois articles d’un texte de Michael Denton sur la « crise » de l’évolution, sorte de retour, trente ans plus tard, sur son propre livre Evolution: A Theory in Crisis (1985), référence capitale pour toutes les discussions de l’Intelligent Design. David Berlinski, autre sociétaire du Discovery Institute, signe aussi deux contributions. Un lecteur critique verrait dans la juxtaposition de ces textes et d’autres articles de scientifiques — qui ne partagent sans doute pas tous cette vision — une stratégie classique de légitimation et de banalisation de thèses qui auraient du mal à trouver leur place dans des revues standard. La présence d’une recension assez élogieuse d’un ouvrage de Jerry Coyne permet en outre de manifester l’éclectisme apparent de la revue, puisque Coyne est un véhément critique de l’ID. La maxime implicite semble être: « Si vous ne parvenez pas à publier vos idées dans des revues scientifiques, invitez des scientifiques à publier dans votre revue ».

La présentation du site ne fait d’ailleurs aucun mystère sur sa vision critique de la « recension par les pairs », puisqu’il est dit clairement que les articles ici publiés sont ceux qui « plaisent » aux rédacteurs en chef, et que ces derniers « préfèrent rester anonymes« . De fait, la revue ne mentionne aucun conseil scientifique ni comité de lecture, et, si elle est apparemment basée en France à Paris, il est facile de trouver son statut, celui d’une structure « non-profit » régie par des statuts américains, du type 501 (c)(3).

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Evidemment, cet anonymat professé ne pouvait qu’aiguiser la curiosité de certains, ici  (ou encore ici) et à l’étranger, et les hypothèses se sont succédées: certains ont fait valoir des parentés stylistiques avec la prose de David Berlinski, vigoureux critique du « darwinisme » depuis les années 1980, d’autres ont remarqué l’identité des premiers abonnés twitter de la revue, qui semblait accréditer cette thèse. Il n’est pourtant pas nécessaire d’aller aussi loin pour faire une hypothèse forte d’attribution. La page de présentation du site défend ainsi son approche « critique » des sciences.

 [1] SCIENCE, it is often said, is a uniquely self-critical institution. Questionable theories and theoreticians pass constantly before stern appellate review. Judgment is unrelenting. And impartial. Individual scientists may make mistakes, but Science as an institution is irrefragable because its judgments are collective.

[2] The editors of Inference: International Review of Science believe this view to be both wrong in conception and pernicious in effect. The process of peer review by which grants are funded and papers assigned to scientific journals does not—and it cannot—achieve the ends that criticism is intended to serve.

[3] The editors are for this reason persuaded that the sense of skepticism engendered by the sciences would be far more appropriately directed toward the sciences than toward anything else.

J’ai inséré ici trois éléments de numérotation des arguments, pour des raisons qui vont apparaître à l’instant. Il est frappant de trouver exactement les mêmes arguments, au mot près, dans l’ouvrage de David Berlinski, The Deniable Darwin (passage cité par l’auteur lui-même sur son blog), dans un contexte qu’il vaut la peine de citer pour voir ce qui en a été retiré (la comparaison entre la nature collective des jugements scientifiques et le comportement du parti communiste sous Lénine):

My own view [=DB], repeated in virtually all of my essays, is [3] that the sense of skepticism engendered by the sciences would be far more appropriately directed toward the sciences than toward anything else. It is not a view that has engendered wide-spread approval. The sciences require no criticism, many scientists say, [1] because the sciences comprise a uniquely self-critical institution, with questionable theories and theoreticians passing constantly before stern appellate review. Judgment is unrelenting. And impartial. Individual scientists may make mistakes, but like the Communist Party under Lenin, science is infallible because its judgments are collective. Critics are not only unwelcome, they are unneeded. The biologist Paul Gross has made himself the master of this attitude and invokes it on every conceivable occasion.Now no one doubts that scientists are sometimes critical of themselves. Among astrophysicists, backbiting often leads to backstabbing. The bloodletting that ensues is on occasion salutary. [2] But the process of peer review by which grants are funded and papers assigned to scientific journals, is, by its very nature, an undertaking in which a court reviews its own decisions and generally finds them good. It serves the useful purpose of settling various scores, but it does not — and it cannot — achieve the ends that criticism is intended to serve.

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Il est donc frappant de voir placer au principe d’une revue une vision, reprise non seulement dans son esprit mais aussi dans sa lettre, à un auteur qui estime qu’elle est présente dans tous ses essais, à tel point qu’elle vaudrait signature. La revue prenant très au sérieux la question du copyright, il serait impensable d’avoir à son frontispice un texte qui serait un plagiat, et donc impensable que l’auteur ne soit pas l’un des fondateurs ou des inspirateurs de cette même revue. L’anonymat d’au moins un des rédacteurs en chef, qui contribue sous son nom à la revue, dont des proches ont été les premiers à suivre la revue sur les réseaux sociaux, et qui ne fait nul mystère de sa localisation parisienne, semble donc être levé au-delà de tout doute raisonnable.

Jusque là, il serait tout à fait envisageable qu’il s’agisse d’une revue menée par un seul homme, comme cela s’est produit plusieurs fois dans l’histoire (on pense notamment à la revue Psyche dirigée, et écrite, en grande partie par C.K. Ogden), et je ferai sans doute ici même une note plus étendue sur la position très particulière de critique des sciences qui est celle de cet auteur, mais il se trouve que la revue rémunère ses auteurs (« Inference remunerates its writers properly ») et qu’elle emploie des collaborateurs (sans doute deux, comme on le voit aisément à travers les offres d’emploi qui sont postées, voir ici l’une d’elles). Quiconque a fait l’expérience de participer à une revue employant un secrétariat, même une revue qui ne rémunère pas ses auteurs, sait que le budget annuel en est déjà fort important. La question de l’anonymat n’est donc pas seulement celle du comité de la revue, elle concerne aussi le financement de ces activités. Qui investit de manière anonyme, soutenue et importante, dans une revue qui se trouve en outre publier des auteurs clés du mouvement de l’Intelligent Design? Est-ce une question anecdotique pour un auteur qui envisagerait d’y publier un texte?

Edit au 14/3. M. Balter, sur twitter, entre dans la discussion

 

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